Résiliation judiciaire du contrat de travail d’un salarié protégé : quel mandat retenir pour le calcul de l’indemnité réparant la violation du statut protecteur ?
Monsieur B était salarié d’une entreprise de transport de voyageurs. Au cours de l’année 2009, il était désigné représentant de section syndicale au sein de l’entreprise P qui fait partie d’un important groupe de transports. Il débrayait et déclenchait avec 3 autres salariés un mouvement de grève en juin de l’année 2010. Pour diverses raisons, qu’il n’est pas utile de développer ici, l’entreprise considérait que ce mouvement ne constituait pas une grève licite et procédait au licenciement pour faute grave des 3 salariés non protégés, leur reprochant un abandon de poste. Monsieur B faisait quant à lui l’objet d’une mise à pied disciplinaire.
Les salariés licenciés saisissaient le Juge des référés du conseil de prud’hommes territorialement compétent pour obtenir l’annulation de leur licenciement sur le fondement de la cessation du trouble manifestement illicite, en l’occurrence l’atteinte au droit de grève. Le conseil de prud’hommes disait n’y avoir lieu à référé et rejetait toutes les demandes des salariés. La cour d’appel infirmait cette décision en toutes ses dispositions et annulait les licenciements litigieux.
Parallèlement, Monsieur B avait saisi au fond le même conseil de prud’hommes d’une demande d’annulation de sa mise à pied disciplinaire et de diverses autres demandes. Au cours de la procédure, Monsieur B était élu délégué du personnel. Quelques mois après son élection, il modifiait ses demandes et sollicitait cette fois la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur. Débouté par le conseil de prud’hommes, il portait l’affaire devant la Cour d’appel qui infirmait une nouvelle fois le Conseil de Prud’hommes.
La Cour annulait la mise à pied disciplinaire critiquée et prononçait la résiliation du contrat de travail du salarié aux torts de l’employeur. Dans ce cas, nous savons que le salarié a droit à diverses indemnités dont une au titre de la violation de son statut protecteur. Le montant de cette indemnité correspond au montant des salaires qu’il aurait dû percevoir jusqu’à l’expiration de la période de protection en cours au jour de sa demande en résiliation. Or la durée de la protection n’est pas la même pour un représentant de section syndicale et pour un délégué du personnel. Le délégué du personnel est élu pour 4 ans. Sa protection se prolonge pendant les 6 mois qui suivent la fin de son mandat. Le représentant de section syndical est protégé pendant son mandat et les 12 mois qui suivent la fin de celui-ci (à condition qu’il ait exercé son mandat pendant un an au moins).
L’enjeu était donc de taille pour l’employeur qui soutenait que le mandat à prendre en considération pour le calcul de l’indemnité réparant la violation du statut protecteur était celui détenu par le salarié à la date de l’engagement de la procédure prud’homale et non celui détenu à la date de la demande de résiliation judiciaire qui, rappelons-le, fut présentée en cours de procédure. Nous savons qu’en matière prud’homale, des demandes nouvelles peuvent être présentées à tout moment pendant la procédure, y compris pour la première fois en cause d’appel. C’est la contrepartie du principe d’unicité d’instance.
L’employeur fondait son argumentaire sur :
- D’une part, un arrêt de la Cour de cassation en date 4 mars 2009 (numéro 07–45. 344) dans lequel la cour suprême a estimé que le mandat du salarié à prendre en compte est celui en cours à la date de la demande en résiliation.
- D’autre part, la prétendue fraude du salarié qui auraitattendu d’être élu délégué du personnel pour présenter sa demande en résiliation judiciaire.
La cour d’appel n’a pas suivi ce raisonnement et la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de l’employeur par un attendu rédigé en ces termes :
« Ayant constaté que, lorsqu’il a formé sa demande de résiliation judiciaire, le salarié était titulaire d’un mandat de délégué du personnel, la cour d’appel en a justement déduit qu’il devait être tenu compte de la durée de ce mandat pour le calcul de l’indemnité pour violation du statut protecteur » (Chambre Sociale arrêt numéro 2373 – FD audience publique du 17 décembre 2014)
Cette décision est donc dans le droit fil de la décision du 4 mars 2009 précitée. La Cour de cassation confirme sa position et considère que c’est le mandat détenu à la date de la demande en résiliation qui détermine la durée de protection à prendre en compte pour l’évaluation de l’indemnité réparant la violation du statut protecteur. Cette position nous paraît toutefois critiquable et peu cohérente.
De manière générale, la situation des parties s’apprécie à la date du jugement. Dans le cas de la rupture du contrat de travail, la date à laquelle cette rupture produit ses effets est bien évidemment fondamentale. Au cas particulier, la résiliation judiciaire du contrat de travail produit ses effets à la date du jugement qui la prononce. Le juge est censé tenir compte de toutes les circonstances intervenues jusqu’au jour du jugement. Il peut décider que la demande n’est pas justifiée si à cette date les faits incriminés ont cessé ou ont été régularisés. La durée de protection qui sert de base au calcul de l’indemnité réparant la violation du statut protecteur est cellerestant à courir à la date du jugement et non pas celle restant à courir à la date de la demande en résiliation. Le salarié dont la protection a cessé à la date du jugement ne peut pas prétendre au versement de cette indemnité.
Pourquoi dans ces conditions ne pas tenir compte du mandat en cours à la date du jugement pour le calcul de l’indemnité réparant la violation du statut protecteur ? C’est ce que la logique semblerait commander, mais ce n’est pas l’avis de la Cour de cassation, pour le moment…
GM